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Histoires d'une balade à deux sur une coque à travers le Pacifique (pour commencer !)

23 Jun

COLIBRI se blesse : petit passage en Equateur

Publié par Cécile et Damien

Et le 4 juin à 8h, c’est donc parti pour une navigation d’environ 1000 NM (milles nautiques, environ 1900 km), le premier grand saut de puce d’une belle série si nous arrivons à atteindre l’objectif de ramener COLIBRI dans les parages de la méditerranée en 2018…

Nous savons que les conditions sont réunies pour que cette traversée soit désagréable : vents dominants en plein pif, courant contraire au début, traversée de la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT) dans laquelle alternent pétole, grains, orages et mer hachée, tout ce qu’on a lu nous garantit qu’on va bien rigoler !

La sortie du golfe se passe bien, l’eau repasse du jaune marron au bleu pacifique en plusieurs heures, mais les débris et gros troncs d’arbres nous accompagnerons presque jusqu’à la nuit. On admire par une nuit sans lune ni nuages, un ciel étoilé magnifique. On arrive à naviguer à la voile, et COLIBRI trace tranquillement un sillage phosphorescent (presque) digne de l’Odyssée de Pi.

Jour 1 : On arrive à naviguer au près dans la bonne direction, ça se passe bien. En début de nuit, le vent forci et nous réduisons la voilure. Puis à 3h, le vent refuse, refuse (c’est-à-dire qu’il tourne dans le mauvais sens pour nous), et c’est le début d’un grain orageux effrayant digne d’un manuel scolaire : on prend 2 puis 3 ris, on démarre le moteur, le vent augmente jusqu’à 7 ou 8 beaufort, puis les vagues grossissent et déferlent un peu de face. Ensuite, c’est le tour de pluies diluviennes, et pour finir, des éclairs nombreux au-dessus de nos têtes, avant de sortir de ça au lever du soleil. On est trempés, crevés, et on espère ne pas remettre ça avant d’avoir quitté cette foutue ZCIT…

Jour 2 : Moteur et tentative pitoyable de louvoyage : le vent tourne tout le temps dans le mauvais sens, et à part gagner du sud, nous ne réduisons que très peu la distance qui nous sépare de l’objectif. Cette nuit, nous aurons une voie lactée comme jamais nous en avions vu, c’est incroyable.

Jour 3 : Toujours en grande partie au moteur. Par ailleurs, des calamars nous attaquent ! On découvre plusieurs cadavres sur le pont, dans un seau, on se demande comment ils font pour sauter jusque-là… Mais dans la nuit, pas de doute, l’un d’entre eux atterri directement sur la tête du Capitaine qui dormait dans le cockpit, ça réveille ! Moins drôle, la fixation du pilote automatique s’est brisée dans la journée, on va donc devoir se relayer à chaque fois que nous utiliserons le moteur. Mais ce n’est pas grave, dans 2 jours au maximum nous pourrons aller vers l’Ouest par vent de travers, et utiliser notre régulateur d’allure, n’est-ce pas ? Grave erreur, jeune optimiste !

Jour 4 : Comme écrit dans le journal de bord : « Changement de voyage »… Nous ne faisons plus route vers les Galapagos, mais complètement à l’opposé… Nous avons entendu un gros bruit ce matin, et Damien s’est précipité pour en vérifier l’origine, mais hélas pas de fausse joie : le hauban intermédiaire s’est rompu tandis que nous naviguions au près par 3 ou 4 beaufort. Tout est affalé en urgence, et après s’être remis de ce sérieux coup au moral, il est temps de réfléchir à la suite. Une réparation de fortune est possible, mais elle devra tenir sur la moitié du Pacifique, jusqu’à Papeete probablement, seul endroit où il sera possible de retrouver matériel et compétence pour refaire un gréement. Nous sommes à 120 NM des côtes de l’équateur, le guide de Jimmy Cornell nous indique en Equateur 3 ports susceptibles de nous aider à réparer, nous allons donc prendre cette option.

Comme nous recevons le vent de l’autre amure (l’autre côté), nous pouvons utiliser les voiles sans risque par rapport au hauban brisé. Tant mieux, car on a déjà fait environ 40 heures de moteur, et il faut économiser pour une descente de la côte équatorienne contre vent et courant…

On espère récupérer météo et conseils de notre routeur professionnel, le père de Damien, grâce à notre téléphone Iridium. Ah bah ouais mais bon… Apparemment, il y aura des problèmes globaux de connexion durant toute la semaine, super !

Franchement, le moral à ce moment est bien bas chez le Capitaine qui se voit déjà longer sans succès la côte, et se résoudre à remonter vers Panama dès que les dernières gouttes de diesel seront consommées. Et une fois revenus à la case départ, il ne serait plus question de refaire ce trajet à la con, on irait jouer dans la mer des Caraïbes et tant pis ! Heureusement, malgré la fatigue, Cécile remonte le moral des troupes à coup de bonne philosophie et de délicieuse cuisine, tout au long de notre périple… Alors on croit en notre bonne étoile, et on navigue déterminés vers l’Equateur.

Jour 5 : On arrive en vue de la 1ère « ville » du nord de l’Equateur, Esmeralda. En effet, mister Cornell, le grand gourou de la plaisance, nous indique dans son plus récent bouquin qu’une marina est censée exister depuis 2 ans. Et bien désolé, mais en arrivant, nous voyons je cite « une ville fantôme à moitié construite, aux allures de goulag de vacances », si ça peut exister ! Merci bien, on va donc poursuivre…

A notre départ, une baleine à bosse va bondir très près de nous, au crépuscule, dans une ambiance forte, pesantes, de gros nuages noirs et bas. C’est impressionnant. Elle fait son numéro à quelques mètres du bateau, et puis croise notre étrave et s’en va, comme le symbole d’une page qui se tourne. Car à ce moment, la mer se creuse, le vent se remet à souffler, et nous allons passer la pire nuit de notre modeste navigation.

Face au vent, COLIBRI tape très fort, l’hélice semble sortir de l’eau, le moteur donne l’impression de s’arracher de sa fondation et de caler lorsque des petites déferlantes nous couchent à 40°. C’est un cauchemar, et nous nous acharnons deux heures durant pour grappiller quelques milles vers le Sud. On gaspille notre carburant si précieux pour rien, il n’y a nul endroit où s’abriter, et la seule direction possible est plein sud (au nord d’Esmeralda, c’est la Colombie et ses accueillants trafiquants…).

La seule décision valable est prise : on arrête tout, on affale tout, on surveille la dérive de près et on met en cape sèche. Ça roule toujours beaucoup, mais on n’abime plus rien. Plus étonnant, le vent qui devrait nous envoyer sur la côte et qui souffle à 30 ou 40 nœuds nous fera à peine dériver durant les 7h qui nous sépare du matin… Un courant amical devait trainer dans le coin ?

Jour 6 : Au petit matin, après avoir vérifié que le bateau n’a pas été endommagé, surtout le moteur et sa fixation (le bruit impressionnant venait d’une barre mal fixée dans un coffre), on le redémarre et très vite il hoquette : on découvre qu’on a presque totalement vidé le réservoir ! Plus tard, on verra que notre autonomie, censée être de 280 litres comme sur les plans, n’a pas l’air d’être supérieure à 200 litres. C’est ballot…

On a encore 60 litres en jerricans, 80 NM à parcourir jusqu’au prochain port, Manta, alors nous mettons en route tranquillement et nous serrons les fesses !

Jour 7 : Le vent va nous être favorable, et nous parvenons à Manta avec moins de moteur que prévu. Tant mieux ! C’est un port où nous n’avons pas grand-chose à faire, on le sens tout de suite : d’énormes thonier avec hélicoptères, une innombrable quantité d’autres bateaux de pêche, certains à moitié coulés. Nous arrivons à comprendre où se trouve la Capitainerie et nous nous y dirigeons benoitement, comme des moutons vers l’abattoir. Mais ça, nous ne le saurons que bien plus tard heureusement, car on est Dimanche, tout est fermé, et c’est une bénédiction.

Un taxi maritime passant dans le coin, nous lui demandant s’il peut nous remplir nos jerricans moyennant finance. Il dit OK, nous demande l’argent à l’avance, on refuse gentiment et il part donc avec nos précieux récipients, ça sent fort le mauvais plan… Et pourtant, il reviendra 30 minutes plus tard, nous demandant une somme ridicule de quelques dollars pour le service plus le prix du diesel. Merci à toi de nous avoir rendu ce service, ces 60 litres seront plus qu’essentiels pour la suite… Par ailleurs on arrive à lui expliquer notre problème et il nous dit qu’un ami à lui est peut être capable de nous faire les réparations, mais il faut attendre lundi pour le savoir. On a peut-être raté une bonne occasion de régler nos problèmes ici, mais nous ne sentons vraiment pas le port, et la perspective d’y rester plusieurs jours n’est pas très motivante. Aussi nous décidons de continuer jusqu’au prochain et dernier port potentiel, une marina réputée disposer de tous les services possibles et imaginables. Alors allons-y, c’est à 100 NM d’ici face au vent, une paille !

Jour 8 : Nous avons peu de vent, donc beaucoup de moteur, et normalement on aura plus de problème d’autonomie jusqu’à Salinas. Des dauphins nous accompagnent, quelques baleines à bosse, c’est plutôt agréable, même si la fatigue nous gagne tellement qu’on décide même de s’arrêter 2 heures pour dormir.

Enfin, nous arrivons dans la marina, la dernière chance ou presque, parce qu’après, « C’est pas l’Pérou », et bien si, justement ! Et on a pas du tout envie de continuer jusqu’à Lima, à ce compte-là on va finir à Ushuaia ! L’entrée se passe bien, on nous accueille et là, la nouvelle tombe : « ah bah oui, mais si vous autres, gueux de plaisanciers, vous désirez mettre un pied sur ce merveilleux pays hautement développé et accueillant qu’est l’Equateur, vous devez faire comme un porte container de 400 mètres et prendre un agent… ».

Mais dis Monsieur, ça sert à quoi un agent pour un voilier de 10 mètres qui ne transporte rien d’autre que 2 pékins et qui est déjà le long du quai ? Et bien… A rien. Parce que bouger son cul pour rendre visite à 3 bureaux dans la ville, je pense qu’on en est capable, et pour 500$, on peut même le faire en limousine et fariner les officiels d’un peu de Blanche de chez leurs voisins du Nord, si on veut !

Mais non, « c’est la loi, et nul n’est… bla bla bla ». OK, super, voici donc une prise d’otage légale, on a pas le choix. Qu’on s’estime heureux, car comme on va nous dire, il y a un seul agent qui daigne s’occuper des voiliers, les autres ont juste raccroché au nez quand ils ont su pourquoi on les appelait… Et on repense à Manta, on a échappé de justesse au même cirque, mais dans un endroit peu recommandé où nulle réparation n’était possible. Le père de Damien avait bien essayé de nous en parler dans un SMS iridium, mais ça avait l’air tellement gros, qu’on a cru que ça ne concernait que les « gros culs » (les bateaux marchands de 100.000 tonnes, quoi…).

Mais on va les payer ces brouzoufs, car par ailleurs on a pu trouver un artisan américain, Jérémy, qui nous assure être en mesure de nous faire les réparations. On ne payera donc pas pour rien ! La semaine va vite se passer, une petite marée noire va laisser son empreinte sur notre beau antifouling, on fait des appros de dernière minute, Damien est presque arrêté pour avoir essayé de récupérer du gazole en taxi (et oui, t’as pas le droit, il faut faire le plein dans la marina, pour 5 fois le prix de la station service qui est à 500 mètres, la Loi, c’est moâ !), les réparations sont achevées après un peu de retard, mais enfin on va être prêts à partir, avec des sertissages neufs sur les 6 haubans les plus importants. On peut repartir à peu près confiant, direction les Galapagos !

Euh, bah non, M’sieur… Ah oui, on ne vous a pas raconté cette bonne blague : vous avez le droit d’aller aux Galapagos en bateau depuis n’importe quel pays du monde sauf… en Equateur ! Petit rappel, les Galapagos, c’est en Equateur… Alors pour avoir le « zarpe » nous permettant légalement d’aller d’Equateur vers l’Equateur, on doit faire des pieds et des mains avec l’agent et les officiels, et leur expliquer sans les vexer que franchement, leur pays si accueillant on s’en tamponne grave et qu’on est là uniquement parce que la force des choses nous y a conduit, que nous on se verrait bien le cul sur une plage de San Cristobal, devant une glace et des iguanes marins. Finalement, ça passe, mais qu’est-ce que certains comportements et règles peuvent être ridicules… J’imagine bien un voilier à La Rochelle : « ah non monsieur, vous pouvez aller au Groenland, mais voyez-vous, l’île d’Oléron, ce n’est pas permis… » ! Enfin, bref, adios, Ecuador, et So long hein !

Cette navigation va être complètement différente de ce qu’on a connu jusqu’à présent : vent de travers régulier, pas d’orages, et un impressionnant courant de 2 nœuds qui nous donne des vitesses fonds de plus de 8 nœuds parfois ! On fait 150 à 160 NM par jour, ça nous change ! A la fin le vent s’essouffle, mais on va quand même faire la traversée de 540 NM en 4 jours, 1 jour de moins que prévu.

A l’arrivée, quelques fous nous accueillent, des globicéphales également, et nous longeons l’île de San Cristobal qui est frappée par une houle assez monstrueuse. A proximité de la baie, nous ne voyons que des barres de déferlantes atteignant 6 mètres de hauteur, mais où qu’c’est donc qu’on passe ??? Finalement, en longeant assez et en ignorant le balisage complètement faux, on trouve la « passe », et on entre dans la baie avec des murs de vagues de chaque côté, impressionnant. Enfin, l’ancre est mouillée dans 10 mètres d’eau, relativement au calme, et les otaries arrivent pour nous saluer. Bolivar, notre agent sur place (ici aussi c’est obligatoire, mais on comprend pourquoi tant l’endroit est particulier), les suit de peu pour faire toute la paperasse. Tout se déroulera au mieux, il est excellent et va même éviter de dire qu’on est passé par l’Equateur, ni vu ni connu j’t’embrouille... En fait, ils se connaissent tous ici, s’arrangent, on est loin de la rigidité du continent, et l’entrée administrative qu’on redoutait tant s’est parfaitement passé.

Le bateau roule pas mal, mais cela finira par se calmer. Jamais nous ne reverrons de telles vagues durant nos 2 semaines ici ! Place à la découverte de ces îles uniques au monde !

Navigation vers les Galapagos

Coucher de soleil le long de l'Equateur

Coucher de soleil le long de l'Equateur

La côte est étonnamment aride !

La côte est étonnamment aride !

Une belle côte...

Une belle côte...

... quelques pêcheurs...

... quelques pêcheurs...

... et le comité d'accueil !

... et le comité d'accueil !

COLIBRI dans la marina de Salinas

COLIBRI dans la marina de Salinas

Quelques locaux...

Quelques locaux...

Bordel, 500$ pour 3 papiers, are you fuc..ing kidding me ?

Bordel, 500$ pour 3 papiers, are you fuc..ing kidding me ?

Enfin, COLIBRI remis en état, nous repartons !

Enfin, COLIBRI remis en état, nous repartons !

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T
Fantastique! Good luck - our dream is your reality. Galapagos on zero emissions. Only need to convince Shooshan of the need of a boat to really live the 'life'!!!
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M
Salut les colibri :-)<br /> J'ai vu votre joli voilier en quittant Isabela la semaine dernière. J'espère que vous avez pu nager à nouveau avec des lions de mer et/ou des pingouins :)<br /> Si ma mémoire est bonne vous êtes en route pour les îles Marquises...<br /> Bon courage à vous deux, et profitez à fond !! <br /> Mathilde
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L
Quelle aventure ! On est contents d'avoir des nouvelles ! On était un peu inquiets ! <br /> Si le routeur pouvait mettre juste de brèves news dans ces coups de temps... on se rongeait moins les ongles !!!
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